Art de la conversation

Tableau. Dans un parc aux hautes frondaisons, au centre un couple debout, l'homme invitant la dame, réticente, à rejoindre les personnages à gauche, deux couples assis, le troisième debout, de dos ; à droite, un serviteur noir
La Conversation d'Antoine Watteau (1721)
...voltigeant de propos en autre, comme des abeilles qui rencontreraient en leur chemin diverses sortes de fleurs[1].
Sept hommes, certains assis autour d'une table, d'autres debout, conversent autour de la lecture d'un livre, dans une bibliothèque
Entretiens sur un autre monde
Je ne m'amuserai point à dire que j'ai choisi dans toute la philosophie la matière la plus capable de piquer la curiosité. Mais après tout, s'inquiète de tout cela qui veut. Ceux qui ont des pensées à perdre, les peuvent perdre sur ces sortes d'objets ; mais tout le monde n'est pas en état de faire cette dépense inutile[2],[ws 1].
Fontenelle, Préface aux entretiens sur la pluralité des mondes

L'art de la conversation, considéré comme l'un des fleurons[s 1] de la culture classique française[n 1], désigne une pratique développée en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, devenue un spectacle pour toute l'Europe[s 2] et caractérisée par la recherche d'une dimension esthétique et hédoniste dans les échanges mondains. Dans les ouvrages traitant de l'art de la conversation dans la France classique, les auteurs ne délimitent pas cet art protéiforme[s 3] dans ses formes ou ses codes. L'expression concerne originellement la conversation mondaine, mais ses pratiques et ses valeurs se sont répandues dans l'ensemble de la société cultivée, ont eu une influence importante dans la littérature, et le terme désigne plus généralement un art littéraire au sens classique de ce terme.

Pour des raisons culturelles et linguistiques, cet art a concerné essentiellement la France et son apparition a été favorisée par la libéralisation des mœurs à la mort de Richelieu. Il s'est développé grâce à l'émergence d'une société de Cour rassemblant une noblesse devenue oisive, en conservant ses caractéristiques originelles, issues du classicisme, dans le langage, la rhétorique et l'esthétisme, et sa diffusion dans l'ensemble du pays a été favorisée par le développement des Salons. Il a disparu rapidement lorsque la Révolution a bouleversé les conditions sociologiques qui l'avaient fait naître pour faire place à la « véhémence de l'orateur ».

Associant l'idéal de l'honnête homme et la culture du Courtisan, l'humanisme et la grâce, l'art de la conversation exige d'être galant, d'avoir esprit, goût, bel air et bon ton. Hommes et dames badinent en promenade ou dans les salons, échangent des flatteries, des pointes, dans la recherche d'un plaisir réciproque, se défiant de la rhétorique du débat. L'ensemble d'une société s'est reconnue dans cette pratique, et de nombreux contemporains en ont laissé un témoignage important à travers leurs mémoires, leur correspondance, ou des essais littéraires. Ils évoquent le plaisir qu'ils y trouvent, parfois les excès, et aussi ses codes et ses règles informelles. Ce sont ainsi de véritables portraits d'artistes qui nous sont parvenus.

La conversation orale représentait alors un modèle pour les différents genres littéraires, avec sa propre rhétorique et l'exigence formelle du classicisme, et s'inscrivait dans le courant esthétisant des Belles-lettres. Cette littérature de dialogues est devenue à son tour un modèle pour l'éducation sociale des aristocrates nobles et bourgeois, favorisant ainsi sa diffusion dans l'ensemble des cercles intellectuels, littéraires et mondains.

Voltaire et Diderot attablés au café Procope avec d'autres convives, et conversant
Voltaire et Diderot au Café Procope
Le plus grand usage de la parole
J'appelle Conversation, tous les entretiens qu'ont toutes sortes de gens, qui se communiquent les uns aux autres, soit qu'on se rencontre par hazard, et qu'on ait que deux ou trois mots à se dire ; soit qu'on se promene ou qu'on voyage avec ses amis, ou mesme avec des personnes qu'on ne connoist pas ; soit qu'on se trouve à table avec des gens de bonne compagnie, soit qu'on aille voir des personnes qu'on aime, et c'est où l'on se communique le plus agréablement ; soit enfin que l'on se rende en quelque lieu d'assemblée, où l'on ne pense qu'à se divertir, comme en effet, c'est le principal but des entretiens.
chevalier de Méré, De la Conversation[3]

Dès le début du XIXe siècle, et aujourd'hui encore, des récits et des études expriment intérêt et nostalgie pour cet art disparu. Dans une époque où la communication rejette parfois dans l'indifférence la langue que l'on parle et le style dans lequel on s'adresse à autrui[s 4], cet article invite à « découvrir la passion que des temps moins éclairés mirent à disputer sur les qualités de leur langage, sur l'honneur qu'il pouvait faire à autrui et sur la faveur qu'il pouvait valoir au sujet parlant[s 4] » comme l'écrivit Fumaroli.

Gravure. Six femmes conversant à côté d'un lit à baldaquin dans une chambre de l'hôtel de Rambouillet. L'une d'elles est assise sur le lit
Conversation dans une ruelle du XVIIe siècle de l'hôtel de Rambouillet - La célèbre Chambre Bleue ?
L'art de la conversation devient alors inséparable en France de la délicatesse quasi musicale et de la curiosité la plus exacte portée à l'énonciation orale de la langue. Les femmes, aussi ignorantes que les crocheteurs, ont encore une meilleure oreille pour juger de cette musique, et pour en jouer[s 5].
Marc Fumaroli
  1. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : aucun texte n’a été fourni pour les références nommées Psyché
  2. Fontenelle in Libertins, Entretiens sur la pluralité des mondes. Préface, p. 1190
  3. Méré, De la Conversation, p. 103


Erreur de référence : Des balises <ref> existent pour un groupe nommé « ws », mais aucune balise <references group="ws"/> correspondante n’a été trouvée
Erreur de référence : Des balises <ref> existent pour un groupe nommé « s », mais aucune balise <references group="s"/> correspondante n’a été trouvée
Erreur de référence : Des balises <ref> existent pour un groupe nommé « n », mais aucune balise <references group="n"/> correspondante n’a été trouvée


Developed by StudentB